Choc, larmes et coeur déchiré mais les mégères courent encore
Terrible soirée aujourd’hui. Une de ces jours qui me fait amèrement ressentir l’intolérance et l’ignorance générale envers le handicap, et dans mon cas plus précis envers l’autisme. Un de ces jours qui peut-être, hélas, deviendra mon quotidien ? Je ne sais pas en fait, c’est bien le problème depuis que notre calvaire a commencé : nous ne savons pas grand-chose, nous oscillons entre redouter l’avenir ou le voir arriver sereinement. Tous les cas d’autisme sont propres à un enfant. Ce n’est pas comme la varicelle dont on connaît le début, le milieu et la fin. On en peut présumer de rien et aucun interlocuteur ne se permettrait d’émettre des hypothèses trop fort.
Mais revenons-en à nos moutons.
Ce soir, comme tous les mercredis, je suis allée chercher mon fils à la garderie. Il m’a sauté dans le bras, j’étais heureuse de le voir. Il avait passé une bonne journée. Pour le chemin de retour, nous empruntons le bus (la garderie est à 15/20 minutes de marche).
A l’intérieur, beaucoup d’enfants et leurs mamans. Des enfants peu bruyants, même sages. François-Emmanuel est dans sa poussette, il tient deux de ses peluches préférées du moment (un lion et un loup). Il a repéré deux enfants, « des grands » devant lui, et tente d’attirer leur attention. C’est toujours une grande joie pour moi de le voir manifester un intérêt pour ses pairs et initier lui-même le contact. On sait que c’est souvent ce qui pèche chez nos petits autistes… Donc je suis contente de le voir faire. Il s’y prend comme il peut, en jouant un peu bruyamment avec ses peluches devant eux, sans doute pour les faire rire ou leur faire peur… Il n’empêche que ses babillages semblent casser les oreilles de deux vieilles dames de l’arrière du bus, qui s’exclament « oh mais on ne s’entend plus », montrent leur agacement en se bouchant les oreilles, me fixent en mode « fais quelque chose, espèce de mère laxiste ». Puis François passe à un autre registre. Il est heureux (il aime le bus, en parle souvent !), donc il chante, sa chanson de la garderie (« mamaman papapa »). De nouveaux, les deux vieilles dames manifestent leur dérangement. Elles se parlent à l’oreille, me regardent en biais. En moi, la colère monte, doucement. Je saisis des bribes de conversation : « enfants… éducation… tout de même… poussette…). Je suis de plus en plus énervée mais je ne dis rien jusqu’à la phrase de trop, qui pourtant de m’était pas adressée pour le coup. Les deux enfants qui étaient devant mon fils descendent du bus avec leur maman et là, les vieilles dames s’exclament : « ah, deux de moins ! ». J’ajoute que ces enfants étaient particulièrement sages et ne dérangeaient personne.
Pour moi, la coupe est pleine, si je ne m’exprime pas je vais exploser. Je me dirige vers ces « dames » et leur demande :
« Excusez-moi, vous avez un problème avec les enfants ?
- Non, pas du tout, répond l’une d’elle. J’en ai élevés plusieurs. Mais ils étaient bien élevés.
- Vous voulez dire que mon fils n’est pas bien élevé ?
- On n’entend que lui », rétorque la plus vieille méchamment.
Là, j’avoue que je n’ai pas vraiment réfléchi avant de sortir la carte, qui selon moi allait peut-être les faire taire (que j’étais naïve !) :
« Mais voyez-vous, mon fils est autiste, je ne peux pas le faire taire aussi facilement que vous le pensez. »
J’ajoute qu’au cours de la conversation, le ton était monté de mon côté, je ne hurlais pas, mais disons qu’on sentait que j’étais énervée. De plus, il parait que j’ai un regard très « noir » lorsque je suis en colère, et je leur en servais un de mes meilleurs.
Alors j’entends :
« Pauvre enfant, mais pauvre enfant… »
- Quoi, pauvre enfant ?
- Mais regardez-vous !
- Je ne vois pas le rapport !
- Vous êtes complètement hystérique, c’est triste d’avoir une mère hystérique.
- Pas du tout, je suis juste en colère et je ne vous permets pas de présumer de la mère que je peux être avec mon enfant. Je m’en occupe à un point que vous ne pouvez même pas imaginer. Il fréquente un centre spécial, deux jours par semaine, pour adapter son comportement aux gens intolérants comme vous, qui ne supportez même pas un cri d’enfant dans les transports en commun.
- Pff mais l’éducation, c’est au jour le jour que ça se travaille, pas deux jours par semaine.
- Vous prétendez me donner des leçons d’éducation ? Mais avez-vous seulement idée de ce que c’est d’élever un enfant autiste depuis presque trois ans ? (là, le ton montait vraiment, intérieurement, je bouillonnais devant pareille bêtise et méchanceté).
Et c’est alors que j’entends, de la plus jeune des deux je crois :
« Pas étonnant qu’il soit autiste votre fils, avec une mère folle comme il a ».
Bon, vous l’aurez compris, c’était vraiment trop, et il me devenait tout simplement impossible d’essayer de tenir une conversation construite avec ces deux mégères stupides et cruelles, j’ai me suis donc laissée aller à ma colère, en les couvrant de noms d’oiseaux avant de sortir du bus, car c’était mon arrêt.
En descendant, bouleversée par ce que je venais d’entendre, j’ai senti une main prendre la mienne. C’était une femme qui se trouvait dans l’autobus, et avait assisté à la scène. Je ne l‘avait pas remarqué, elle s’était fait discrète, mais elle avait tout vu, et surtout tout entendu. Elle m’a dit, avec beaucoup de douceur :
« Ne les écoutez pas, continuez, votre fils, c’est une merveille ».
Je suis toujours fasciné par cette dualité du monde : on peut côtoyer au même endroit le pire et le meilleur de l’humanité. Je venais d’en faire l’expérience fracassante.
Dès que le bus est parti, et que je suis rentrée dans mon hall d’immeuble, les larmes ont commencé à couler. Intarissables. De retour chez moi, je me suis affaissée sur le canapé pour pleurer tout mon saoul. Les sentiments qui prévalaient étaient : la colère, la tristesse, un terrible sentiment d’injustice, le désespoir et la peur aussi. La peur que ce type de combat devienne mon quotidien, le désespoir de constater combien le chemin était difficile, la maigre envie de le poursuivre… Tout cela avec un petit enfant gai à mes côtés, qui avait très bien remarqué que quelque chose clochait chez maman, qu’elle n’était pas comme d’habitude. Ce petit amour m’apportait des jouets, essayait de me divertir, il m’apportait des livres aussi (même ceux qu’il n’aime pas d’habitude, ce qui m’a prouvé qu’il essayait davantage de me divertir moi que lui-même).
Je ne sais où j’ai trouvé le courage de finir par ouvrir le livre des trois petits cochons qu’il me présentait… Dieu sait que ma voix était chevrotante tandis que je lisais : « je vais souffler, souffler, et ta maison va s’envolera » … mais il le fallait, pour mon petit, je devais redevenir « normale », et lui apporter les soins habituels d’une mère.
Si mes larmes ont fini par sécher et la vie par reprendre son cours, je n’ai pas oublié.
Je crois que je n’oublierai jamais les mots, tellement sots, tellement injustes, et les visages haineux de ces femmes. Je ne sais quelle leçon j’en tirerai. Peut-être à l’avenir laisserai-je les méchants parler sans intervenir. Peut-être mon caractère combattif se mettra-t-il toujours en travers de leur route, au risque que j’y laisse des plumes…